Comment ça commence # 6 Il est évident que la guerre sera perdue...

Le projet d'écriture "Comment ça commence ?" de Agoaye* continue. Voici l'épisode de juin qui sent déjà bon les vacances !  🐠〰  🐟〰  🐡
Pour mémoire , vous trouverez les épisodes précédents en cliquant sur le lien correspondant :
Il est évident que la guerre sera perdue, les soldats verts occupent toute la zone et sont maintenant indélogeables ! Leur technique d'invasion est trop efficace. C'est pas ma guerre mais je vais vous aider quand même, parce que je suis pour la liberté des écailles !

Dans un demi-sommeil, il entendait la voix de Rambo annoncer un plan de bataille pour débarrasser sa carapace de l'armée d'algues qui l'avait envahie. Le mélange ridicule produit par son rêve le réveilla tout à fait. En ouvrant les yeux, il constata à nouveau les faits, par l'aspect végétalisé de son amie, qui lui servait de miroir. Il se voyait, à juste titre, tout aussi colonisé de pousses vertes filamenteuses, et vivait mal ce changement esthétique majeur. Ses belles écailles colorées étaient devenues sa fierté et il se désolait qu'elles soient à peine visibles, camouflées par un duvet devenu très dense au fil des jours.

Les semaines qu'ils avaient passées à voyager en haute mer les avaient désignés comme terre promise pour des germes d'algues déportés par les courants océaniques. Au tout début, il avait réussi à se persuader que participer à la biodiversité de la flore marine était appréciable. A présent, il redoutait qu'on le prît pour une jardinière aquatique ambulante...
Même réincarné en tortue, il continuait à penser en esthète : il avait encore - et toujours - la vanité d'être lui-même. La compagnie de cette vieille dame à ses côtés lui procurait un aperçu des changements que la vie marine imposait à son corps, ce qui lui avait manqué jusqu'à leur rencontre. Ce n'était certes pas un reflet exact et s'il pouvait le voir, il aurait probablement apprécié le look rock and roll que la balane installée comme un piercing sur son arcade sourcilière lui donnait.

Néanmoins, omnibulé par son problème de végétaux embarqués, il avait demandé à accélérer leur rythme de croisière, de façon à atteindre au plus vite un récif corallien pour se débarrasser de cet aspect qu'il abhorrait. De plus, il avait hâte d'arriver à Hawaï pour découvrir l'un des meilleurs lieux de bien-être du Pacifique. Et il n'était pas le seul : son amie était impatiente elle aussi, mais pour d'autres raisons. Elle était partagée entre la joie d'y croiser d'autres êtres marins, le ressourcement total qu'elle goutait en cet endroit spécial, mais aussi - et surtout - la perspective que les jérémiades de son compagnon de voyage finiraient enfin ! Elle n'avait pas souvenir d'avoir été aussi coquette, même lorsqu'elle possédait un miroir, mais sans nul doute, lui, n'avait jamais cessé de l'être. Elle se représentait que tous les efforts qu'il fournissait pour la qualité de sa nourriture et le soin qu'il avait de lui-même ne visaient pas seulement à se maintenir en bonne santé... 

En ce qui la concernait, cette couverture d'algues ne lui faisait ni chaud ni froid : cela lui était arrivé tant de fois ! Elle n'en oubliait cependant pas la légère inquiétude qu'elle avait ressentie à sa première végétalisation. Et malgré son agacement causé par la vanité excessive de son ami en cette circonstance - depuis déjà presque un mois !- elle se félicitait de pouvoir le rassurer par son expérience, et de le guider vers cet archipel dont la renommée est acquise dans tous les océans : Hawaï ! 

Cette excellente réputation tenait autant au cadre idyllique de lagons enchanteurs aux eaux claires, qu'à l'abondance de nourritures pour tous les goûts et qu'à la générosité des poissons autochtones qui veillaient au bien-être de leurs hôtes.
A peine furent-ils en vue de l'île la plus orientale qu'ils purent constater avec plaisir l'efficacité des réceptionnistes. Un banc de poissons chirurgiens leur souhaita la bienvenue avec cordialité, les guida gaiement vers les buffets de cnidaires, tout en offrant de faire leur toilette, pendant que les voyageurs se reposeraient et se restaureraient des éponges marines que les tortues préféraient.

Trouver le calme et le confort de ce qui s'apparentait à un complexe hôtelier de luxe en all-inclusive coupa net sa mauvaise humeur. Il s'amusa beaucoup en suivant de l’œil l'évolution des poissons élégants, noirs ou bleus, qui s’activaient autour d'eux : ils se disputaient presque pour brouter les algues qui avaient poussé sur leur carapace. Il s'imagina un instant être le stade à l'herbe rase où les poissons chirurgiens seraient deux équipes s'affrontant pour un match. Peut-être même un match important ? Il hésita entre une finale des six nations avec un grand chelem à la clé, ou une finale de coupe du monde de rugby. Il déduisit aux maillots des joueurs qu'il s'agissait d'un épique XV de France versus All Blacks, arbitré par un poisson rémora qui venait de les rejoindre.
Son sourire et sa bonne humeur ne passèrent pas inaperçus de son amie qui n'avait pourtant pas perdu patience face à son irritabilité vaniteuse :
─ En voilà une sacrée transformation, mon petit !
─ Tout à fait, Mamie ! lui répondit-il avec un clin d’œil.


A suivre...

* Rappel des consignes : "Vous avez un mois pour écrire et partager avec nous un billet ou un article. [...] Une seule contrainte : tous les écrits du mois doivent commencer par la même amorce de phrase ! Il est interdit de changer le moindre mot, la moindre virgule, car ils sont autant d’indices qui vous permettront de tisser ensuite la trame de votre récit, et permettre au train de votre imagination de se mettre en marche !" Ici, c'est la phrase écrite en gras au début du texte.

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