Comment ça commence # 8
Le projet d'écriture "Comment ça commence ?" de Agoaye* continue...
Nous voici arrivés à l’antépénultième épisode, il ne reste plus que deux incitations à travailler...
Profitons ensemble des aventures de nos amis, et les voyages au bout du monde océanique !
⛵ 🐟 🐢 🐡 🐠 🐋 🐬 🌊
Nous voici arrivés à l’antépénultième épisode, il ne reste plus que deux incitations à travailler...
Profitons ensemble des aventures de nos amis, et les voyages au bout du monde océanique !
⛵ 🐟 🐢 🐡 🐠 🐋 🐬 🌊
Pour mémoire , vous trouverez les épisodes précédents en cliquant sur le lien correspondant :
La
pire chose qui pouvait arriver n'était rien à côté de
la perte brutale de leur liberté.
Évidemment, cela n'aurait pu se produire s'ils
n'avaient eu l'idée saugrenue de quitter l'océan Pacifique :
s'ils avaient pris le risque de se faire remorquer clandestinement
par un cargo au travers du canal de Panama pour rejoindre les eaux de
l'Atlantique, jamais ils n'avaient envisagé de telles conséquences
à leur escapade caribéenne -y compris le sauvetage improvisé d'une
fillette !
Les vidéos et photos prises par l'un des passagers du
voilier, au moment de la découverte de Rose accrochée aux tortues,
avaient circulé massivement sur les réseaux sociaux, relayées et
partagées à une vitesse folle, encore et encore, si bien qu'en à
peine quelques jours le monde connecté entier avait vu et revu ces
images touchantes. Au nombre colossal des personnes qui les
visionnèrent en boucle figurait un homme très intéressé.
Ce grand aquariophile, parmi les plus mordus,
n'hésitait pas à consacrer l'essentiel de ses revenus à sa passion
dévorante. S'il restait extrêmement discret sur la façon dont il
s'y était pris pour amasser sa fortune, qui se montait -excusez du
peu- à quelques dizaines de millions de dollars, il ne reculait
devant aucune dépense concernant son aquarium géant, la faune et la
flore qu'il y avait fait installer, et restait ouvert à toutes les
possibilité d'ajouter de nouveaux spécimens à sa collection aussi
magnifique que démesurée et selon toute vraisemblance parfaitement
illégale. Bien entendu, il trouva nos amis à son goût. Comme
c'était un homme aussi exigeant qu'impatient, il prit toutes les
mesures nécessaires afin de réunir dans les plus brefs délais une
équipe d'élite, marins et scientifiques, supervisés par l'un de
ses sbires et capables de trouver et de lui ramener ces deux tortues
précisément, au milieu d'une grande étendue marine où vivait une
importante population de leurs congénères.
Pendant ce temps, nos reptiles insouciants reprenaient
tranquillement leur route, coupant leur itinéraire en assez courtes
étapes, flânant autour d'îles splendides, consommant d'excellentes
collations d'éponges et cnidaires goûteuses, jouant dans les vagues
et suivant le courant...
Contrairement à nos promeneurs, l'équipe de choc
fraîchement recrutée par le multimillionnaire se mit au travail
immédiatement. Les marins, de véritables flibustiers des temps
modernes, menèrent le navire affrété au plus près de la dernière
position connue des tortues ; quant aux scientifiques embarqués,
des océanologues à l'éthique discutable, commencèrent à repérer
et marquer les tortues imbriquées qui nageaient dans la zone
quadrillée. Ces nouveaux pirates des Caraïbes sillonnèrent cette
vaste étendue, avec le zèle et l'application que supposait la
coquette somme qu'ils recevraient lorsque la recherche serait
terminée. Ils agissaient avec la même précision qu'au cours de
missions officielles de comptage d'espèces menacées : chaque
tortue imbriquée était capturée et retenue un instant à bord, le
temps de coller une balise à sa carapace et de comparer ses écailles
dorsales à celles que montraient les photos de nos amis. Il leur
fallut tout de même de longues et fastidieuses semaines avant de les
trouver. A ce moment, leurs techniques de capture et d'identification
étaient on ne pouvait plus efficaces, avec l'expérience accumulée
au fil de ces jours de labeur.
Alors qu'ils s'apprêtaient à jeter l'ancre dans un
mouillage parfait pour la nuit, au cœur d'un tout petit archipel,
l'un d'entre eux aperçut soudain dans l'eau transparente deux
silhouettes qui filaient vers un banc de sable. Il reconnut ces deux
tortues, et héla aussitôt un camarade pour les ajouter à la
demi-douzaine de reptiles marins qu'ils avaient mesurés et marqués
sur la journée. Sans perdre une minute, ils enjambèrent le
bastingage et plongèrent souplement, ridant à peine la surface des
vagues. En quelques brasses puissantes ils foncèrent sur nos amis.
Les deux tortues, inévitablement, furent saisies à pleines mains,
délicatement mais fermement, et furent ramenées à bord, les marins
aidant les plongeurs à les hisser par dessus la coque du navire. Ils
avaient maintenant tous l'habitude des mouvements d'animaux méfiants
et surent contrecarrer toute tentative de fuite jusqu'à ce qu'ils
puissent examiner leurs nouveaux passagers, retrouvant sur leur dos,
avec la satisfaction du travail accompli, les motifs des écailles
qu'ils avaient longtemps scrutés et étudiés sur les
agrandissements de photos transmises par leur commanditaire. Au lieu
de les rejeter à l'eau comme ils l'avaient fait pour les autres
tortues, ils les installèrent dans leur bac de transport avec
d'infinies précautions. Ils prirent le plus grand soin de leurs captifs, leur
précieuse cargaison, veillant à leur confort, fournissant éponges
et méduses fraîchement pêchées.
Il était évident que tous ces
gestes de « bienveillance » ne pouvaient pas compenser
l'injustice que vivaient nos tortues, au-delà de la taille ridicule
de leur caisson de transport où elles tournaient en rond, perdues,
alors qu'elles avaient eu à leur disposition des océans entiers, il
y avait déjà trop longtemps. Leur vivier ? Il s'agissait d'une
cuve, autrefois servant à un usage industriel, dont on avait gardé
les pictogrammes et symboles de dangers chimiques, spécialement
reconvertie pour l'occasion en lagon de poche.
Battant pavillon états-unien, les pirates comptaient
sur la discrétion d'une grande zone portuaire au Texas, où ils
connaissaient quelques personnes corruptibles, capables de leur
faciliter les choses pour leur arrivée à terre et leur
débarquement. Quant au passage de la douane, ils savaient les
décorations de la cuve de transport assez dissuasives pour que
personne ne cherchât à y regarder de plus près, et que le bon de
livraison qui l'accompagnait, contrefait avec une grande habileté,
tromperait les fonctionnaires les plus zélés. Tout se passa comme
ils l'avait prévu, et la marchandise fut rapidement chargée à bord
d'un camion climatisé. Les marins furent grassement rétribués, les
scientifiques et le chauffeur routier reçurent une bonne avance sur
leur paie. Ils en recevraient le reste lorsque la marchandise serait
livrée à destination et en bon état.
Si la santé physique des tortues était relativement
bonne, il n'en était clairement pas de même pour leur santé
mentale : elles s'étaient comme éteintes, démoralisées par
la captivité, l'extrême limitation de leur amplitude de mouvements,
la monotonie gustative de l'eau et de leur nourriture actuelle
aromatisée aux algues réhydratées, l'absence de vagues, de
courants... Pour eux, c'était mille, cent mille fois pire que la
sensation de se perdre dans l'océan, où tout pouvait arriver, de la
plus grande solitude aux plus belles bulles de bonheur... Ils se
doutaient de la fin qui les attendait, bien qu'ignorant complètement
leur destination. Leur lucidité ne leur laissait plus d'espoir :
ils se savaient condamnés à perpétuité dans une prison aquatique.
Ils avaient eu beau chercher, encore et encore, une faiblesse, une
échappatoire, un maillon faible dans l'équipage, tout était trop
bien organisé et millimétré pour éviter la moindre négligence
qui eût permis l'évasion des deux captifs, et ce, depuis leur
rencontre avec les pirates.
Ils avaient senti la différence entre le transport
marin et l'arrivée sur la terre ferme. Ils avaient une conscience
confuse de l'activité qui régnait dans le port et avaient voulu se
signaler par du bruit, tapant de leurs nageoires sur les parois de la
cuve, parfaitement isolées et isolantes, si bien qu'aucun son ne
pouvait vraiment traverser. Le mâle comprit aux premières
vibrations qu'ils venaient d'être chargés dans un camion, et il
entreprit d'expliquer à sa compagne ce dont il s'agissait, et quelle
stratégie adopter face à ce changement. A priori, tout ce qu'ils
pouvaient faire était de s'armer de patience et grappiller la
moindre information sur leur devenir, en épiant les conversations de
leurs geôliers lors des renouvellements de leur eau...
Le camion les conduisit d'état en état, prenant le
plus de routes secondaires possibles, évitant les grandes villes,
depuis le Texas jusqu'à la Californie, en traversant le Nouveau
Mexique et l'Arizona, soit des terres chaudes et arides... Les
océanologues qui s'occupaient des tortues avaient anticipé ce
problème et avaient insisté pour voyager en camion climatisé,
surtout à cause des panneaux isolants. Si les animaux étaient
préservés des températures élevées par ce système, l'équipe
suivait attentivement l'évolution de la qualité de l'eau, de façon
à pouvoir effectuer les changements ou ajustements nécessaires sans
attirer l'attention, dans des endroits discrets. Bien entendu, ils
durent aussi profiter de ces pauses dans des zones désaffectées
pour réparer les capteurs et les sondes que les tortues aimaient
mordiller. Ce sabotage restait la seule satisfaction immédiate -bien
qu'éphémère- que pouvaient s'offrir les prisonniers.
Nonobstant ces coupures sur le trajet, qui les amenèrent
à prendre du retard sur le calendrier prévu depuis la capture, les
tortues furent bel et bien livrées à San Francisco.
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